Le gréage de scène : un emploi méconnu
Publié le 6 avril 2018Sébastien voyage régulièrement aux quatre coins de l’Amérique du Nord et il côtoie les plus grandes vedettes. Chaque jour, il supervise une équipe qui doit braver les hauteurs. Sa profession? Chef gréeur de scène, ou chef rigger, car on le dit souvent à l’anglaise dans le domaine.
Quand les mathématiques rencontrent l’univers du spectacle
En tant que chef gréeur d’aréna, un travail loin de se limiter aux arénas en fait, Sébastien joue un rôle crucial dans divers événements : spectacles, festivals, salons, congrès, manifestations sportives, etc. Sa mission : s’assurer que le matériel servant à soutenir les équipements de son, de lumière et de vidéo est installé de façon sécuritaire. Ce n’est pas une mince tâche. Lors de certains festivals, plus de 200 moteurs sont requis afin de soulever les ponts utilisés pour la vidéo, l’éclairage et la sonorisation. Et c’est sans compter l’équipement de protection des membres de l’équipe et le matériel de levage complémentaire (nacelles, élingues, passerelles, palans, harnais, sangles, etc.).
Concrètement, notre chef gréeur doit à la fois planifier les besoins en matière d’équipement et de personnel, réfléchir à la logistique des activités, réaliser des calculs de charge pour évaluer la solidité des structures, résoudre des problèmes complexes et s’assurer que le travail est effectué de façon appropriée et sécuritaire par les gréeurs sous sa responsabilité. Une spécialisation ultra-recherchée : les chefs gréeurs de la ville de Québec se comptent sur les doigts de la main!
Avec une telle rareté, pas étonnant que l’expertise de Sébastien ait été sollicitée pour certains des plus grands événements musicaux et sportifs en Amérique du Nord! Côtoyer des célébrités fait partie de son quotidien.
Toutefois, pas question de courir les autographes pour autant! La discrétion est de mise. « Derrière la scène, il y a des règles non écrites à observer. Lorsqu’une vedette est en coulisses, on peut considérer qu’elle est dans sa maison. C’est son havre de paix et nous sommes ses invités. Il y a des artistes qui passent directement de la limousine à leur loge, puis de la loge à la scène. Ils ne veulent pas être dérangés. D’autres vont se montrer très amicaux. Nous pouvons les saluer en retour, mais en respectant leur bulle », explique Sébastien.
Un métier exigeant et des responsabilités de taille
En plus de se distinguer par leur professionnalisme exemplaire, les gréeurs sont reconnus pour leur rigueur irréprochable. Grâce à leur approche réfléchie et minutieuse, artistes et spectateurs sont assurés de pouvoir profiter du moment en toute sécurité.
Pas le droit à l’erreur! Les conséquences d’un travail bâclé peuvent se révéler désastreuses. « Si un sonorisateur se trompe, il y aura de la distorsion. Si un éclairagiste commet une bévue, la salle sera plongée dans l’obscurité. Dans le cas d’un gréeur, les répercussions peuvent être autrement plus dramatiques. Une poutre en acier qui tombe sur la tête d’une personne, ça peut carrément être fatal », précise Sébastien.
Heureusement, une grande importance est accordée au respect des règles de sécurité, et ce, afin de protéger non seulement les spectateurs et les artistes, mais aussi les employés. Quel que soit le mandat, les gréeurs doivent se conformer aux normes de la CSST ou encore aux normes de l’édifice dans lequel se tient l’événement (si ces dernières sont plus strictes).
D’où la nécessité de tout planifier dans les moindres détails! Premier arrivé le matin et dernier parti le soir, notre chef gréeur a un horaire très chargé. Sa journée type?
Matinée : Habituellement seul en début de journée, Sébastien effectue le marquage du plancher à l’aide de rubans selon les plans AutoCAD fournis par la direction du bâtiment. Il indique l’emplacement des moteurs, des ponts, des appareils d’éclairage, etc. Puis, l’équipe se joint à lui. Après le déchargement de l’équipement, les gréeurs installent ancrages au sol, échafaudages, passerelles, points d’accroche au plafond et autres dispositifs. Sébastien donne les consignes et surveille étroitement les activités. Comme les gréeurs travaillent beaucoup « sur corde », la vigilance de chacun est primordiale pour éviter les chutes.
Après-midi : L’équipe des gréeurs achève la mise en place des structures et entreprend les dernières vérifications sous la supervision de Sébastien. Les spécialistes en éclairage et en sonorisation montent dans des nacelles afin d’installer leurs équipements. Puis, ils effectuent leurs tests pour s’assurer que tout fonctionne comme prévu.
Soirée : On procède à l’ouverture des portes. Pendant le spectacle, les gréeurs se préparent déjà pour le démontage. Tout de suite après le rappel commence le chargement du matériel. Pour éviter la confusion, chaque pièce est toujours replacée au même endroit, dans le même camion.
Une journée très occupée! Comme l’exprime Sébastien, « le gréage de scène n’est pas compatible avec un horaire 8 à 5. Il faut être passionné et se montrer partant pour les imprévus. On m’a déjà appelé à 17 h pour me demander de prendre un vol vers Winnipeg le lendemain! »
Une carrière stimulante remplie de défis
Être chef gréeur, c’est également savoir s’adapter, car il y a des contraintes différentes pour chaque salle. La durée nécessaire au montage d’un même spectacle peut doubler, voire tripler selon le lieu. L’équipe varie aussi énormément. Sébastien peut autant être appelé à travailler en solo qu’à collaborer avec un autre chef pour superviser un groupe de gréeurs locaux. « En tournée, nous sommes souvent une cinquantaine à voyager avec les artistes. Une centaine de personnes embauchées sur place se greffent à nous. J’encadre donc des employés possédant différents niveaux d’expérience », raconte-t-il.
Parfois, des novices viennent prêter main-forte. « Pour les spectacles locaux d’envergure, lorsqu’un grand nom performe à Québec par exemple, il nous manque souvent du personnel. On cherche surtout des bras pour effectuer le travail de base : pousser des coffres, placer des caisses de son, décharger les camions, etc. »
Pour réussir à coordonner tout ce beau monde, il faut posséder des qualités de meneur. « J’aime bien donner des défis pour encourager les troupes. L’un de nos objectifs est l’efficacité, alors c’est toujours motivant de recevoir des félicitations parce qu’on a battu des records de rapidité. »
Évidemment, pas question de négliger l’aspect sécurité! Notre chef gréeur suit toujours de près le déroulement des activités et de façon encore plus attentive lorsqu’il s’agit de recrues. Il veille à les informer adéquatement sur les équipements qui seront utilisés et s’assure que les tâches sont bien comprises et maîtrisées.
Le parcours fascinant d’un professionnel passionné
Bien sûr, développer une telle expertise en gréage ne se fait pas en criant ciseau. Sébastien a dû « apprendre sur le tas » et se perfectionner.
Tout a commencé dans son patelin. « Très jeune, je travaillais dans une salle de spectacle à Saint-Georges de Beauce. C’est là que j’ai eu la piqûre; j’aimais beaucoup l’ambiance. Je me suis donc inscrit à un cours de sonorisation à Drummondville et j’ai fait mon entrée dans le milieu du spectacle à Québec. Un jour, mon premier employeur m’a proposé d’apprendre les ficelles du gréage. Le défi m’interpellait : je me suis lancé dans l’aventure. On m’a donné des mandats au Centre de foires de Québec et j’ai rencontré une foule de gens du domaine. »
Peu à peu, grâce à son souci du travail bien fait, Sébastien s’est taillé une place de choix dans l’industrie du spectacle. On lui confie aujourd’hui des mandats de grande envergure pour divers événements très courus au Canada et aux États-Unis! Bref, il peut voir du pays tout en exerçant un métier qui le passionne.
Devenir gréeur : des trucs pour percer
Une carrière dans le domaine du gréage, ça vous intéresse? Plusieurs avenues s’offrent à vous.
Le Collège Lionel-Groulx propose une AEC en gréage de scène. Cette dernière englobe le gréage d’aréna (la spécialisation de Sébastien, soit le gréage d’équipements) et le gréage acrobatique, une discipline aussi appelée gréage humain, très importante dans le domaine du cirque. Au programme : cours, travail pratique en atelier et en laboratoire et stage d’été. Le site du cégep nous présente d’ailleurs les perspectives salariales de la profession : de 18 $ à 25 $ de l’heure pour un gréeur et de 25 $ à 35 $ de l’heure pour un chef gréeur.
Mais le milieu du spectacle ne constitue pas la seule porte d’entrée! De nombreux gréeurs proviennent de la construction ou du secteur industriel. Ils ont commencé leur carrière en tant que monteurs de lignes ou réparateurs d’éoliennes par exemple. Leur point commun? La maîtrise du travail en hauteur et des règles de sécurité essentielles.
Cette compétence clé peut être acquise par différentes formations, telles celles offertes par GRAVI-T ZERO. En ce qui concerne le travail sur corde plus précisément, certains organismes proposent des certifications très valorisées dans le domaine. Alors que la certification SPRAT (Society of Professional Rope Access Technicians) est surtout prisée en Amérique du Nord, la certification IRATA (Industrial Rope Access Trade Association) est reconnue dans de nombreux pays. Pour obtenir l’une d’entre elles, on peut suivre les cours d’entreprises spécialisées telles que Horizon Vertical, Vertika ou Canadian Rope Access Specialists.
Même si ces formations et expériences constituent un atout non négligeable, sachez qu’elles ne sont pas obligatoires pour l’instant. Bien sûr, pour gravir les échelons, il faut se démarquer. Outre la forme physique et la capacité à travailler en hauteur, on mise sur l’attitude. Sébastien recommande aux débutants de rencontrer des gens du milieu et de se montrer motivés. « Vous devez poser des questions, être allumé, ponctuel et, surtout, doté d’un esprit logique. Le gros bon sens, c’est non négociable. Éviter à tout prix de risquer notre vie ou celle des autres : voilà notre priorité. »
Par Suzanne Beaudry , rédactrice Web chez Jobillico