Et si le télétravail était un facteur de développement régional?
Publié le 14 avril 2022Ce n’est pas la première fois qu’on vous le dit, et peut-être pas la dernière, mais le télétravail ne cesse de chambouler le monde du travail tel que nous le connaissons. La pandémie et ses conséquences nous ont montré que l’économie peut fonctionner autrement depuis l’avènement du travail à domicile.
Le confinement a été vécu différemment d’une personne à l’autre à travers le monde. Selon ce que nous avons pu constater de prime abord, c’est que les personnes qui vivent dans de grands espaces, proches de la nature ont mieux vécu l’enfermement et l’éloignement du reste du monde extérieur. De ce fait, nombreux sont ceux qui ont voulu explorer les régions du pays en quête de dépaysement.
Dans cet article, nous posons des questions, sans avoir forcément de réponses claires dans un territoire en reconfiguration. Ce qui est sûr, c’est que la réflexion ne cesse de se faire dans plusieurs ménages, à savoir : faut-il s’éloigner des centres urbains pour habiter plus grand et être plus heureux?
La qualité de la connexion Internet : parent pauvre du télétravail
Le manque d’accès à Internet et l’aisance avec les outils numériques sont une des causes de la fracture numérique dans le monde. Le Canada n’y échappe malheureusement pas. Les zones rurales souffrent non seulement de prix parfois exorbitants d’Internet et de sa qualité médiocre, parce que loin des villes.
Pour y remédier, le gouvernement fédéral a lancé l’initiative Familles branchées qui a pour but de donner accès à des forfaits à 20 $ par mois. Ainsi, des milliers de familles canadiennes auront un accès à une connexion à haute vitesse d’au moins 50 mégabits par seconde en téléchargement et d’au moins 10 mégabits par seconde en téléversement.
Ce projet en plusieurs phases permettra donc au Canada d’avoir une connexion Internet à haute vitesse partout sur son territoire. Une bonne nouvelle pour les personnes qui habitent dans des régions éloignées et qui souffrent de problèmes de connectivité.
Quand on sait que le télétravail nécessite souvent une bonne connexion internet, nous pensons que ce genre de mesures peut encourager des familles à s’installer dans d’autres régions du pays et avoir les mêmes chances d’accès aux emplois en télétravail. Plus de familles dans les régions rurales signifie plus de commerces, plus d’emplois et un meilleur développement économique pour les zones concernées.
Le télétravail change notre vision de la ruralité
Nous avons pu constater que durant les saisons touristiques des deux dernières années, il fallait se lever tôt, connaître quelqu’un et s’y prendre vraiment en avance pour louer un chalet ou tout autre hébergement dans certaines régions du Québec. Beaucoup de villages ont vu passer des milliers de touristes depuis le début de la pandémie.
À partir de cette expérience de dépaysement, le monde se dit : on peut donc vivre et travailler en dehors des grandes villes, à condition d’avoir une bonne connexion Internet. Plus besoin de grands commerces, de grands centres commerciaux et autres attributs des grandes villes. Nous avons appris à vivre sans salles de cinéma, sans salles de spectacles, sans grands magasins et sans autres lieux de loisirs. Aussi, nous avons pu nous reconnecter avec la nature, à tel point qu’elle redevient un argument d’attraction de talents et de familles en quête d’une nouvelle vie.
Nous observons donc des cheminements inverses à la tendance prépandémique. C’est-à-dire que nous entendons beaucoup parler de quelqu’un qui a choisi de sortir de Montréal et de retourner vivre dans son coin de pays. Nous lisons davantage d’histoires de retour aux sources que d’histoires de dépaysement. Attention, nous ne parlons pas d’immigration.
En matière de chiffres, Bernard Vachon, professeur retraité de l’UQAM et spécialiste en aménagement et développement territorial, fait état de 178 067 départs de Montréal entre 2010-2011 et 2018-2019, dont 27 890 pour la seule année 2018-2019. Nous ne disons pas que les villes se vident, mais qu’il existe un phénomène d’exode accentué par la pandémie.
Selon le professeur, ces mouvements profitent à des régions voisines de Montréal et de Québec (Montérégie, Lanaudière, Laurentides, Charlevoix et Bellechasse). Ce phénomène d’exode donne à réfléchir aux spécialistes en aménagement du territoire.
La tendance actuelle est au travail hybride, à savoir un temps partagé entre le travail au bureau et le travail à domicile. Même si ce mode de travail est appelé à se développer durant les prochaines années, les employés pourront assumer le fait de se déplacer plus longtemps et plus loin une ou deux fois par semaine, en échange d’une tranquillité le reste de la semaine. Le secret pour que ça fonctionne : la flexibilité.
Qu’en est-il des jeunes face à l’exode?
Le retour au travail ne peut pas se faire sans flexibilité et sans conciliation travail-famille. Il est juste insensé de mettre des barrières qui ont cessé d’exister durant la pandémie, à moins de ne plus vouloir attirer de talents et de laisser partir ceux que vous avez.
Un récent sondage Léger mené pour le Regroupement des jeunes chambres de commerce du Québec (RJCCQ) fait état d’une véritable volonté de la génération Z de concilier travail et vie de famille. 47 % des jeunes professionnels urbains pourraient quitter la ville pour vivre en région si le télétravail était permis à temps complet. Même si ce ne sont que des paroles pour le moment, le futur proche pourrait être déterminant pour observer cet exode en sens inverse.
On imagine déjà des régions se développer et se lancer dans des opérations de communication et d’attraction de talents. Ce qui est déjà le cas avec plusieurs organismes régionaux de recrutement et de développement régional comme Québec International, Place aux jeunes en régions, Vivre en Gaspésie et tant d’autres.
La grande majorité des jeunes veulent continuer à travailler à la maison après la pandémie (90 %), et 44 % souhaitent le faire à temps plein. Ces chiffres sonnent comme un avertissement pour les employeurs en manque de flexibilité et d’arguments pour retenir et attirer des candidats.
La surchauffe immobilière peut-elle accélérer le départ de travailleurs?
À notre connaissance, il n’y a pas encore de statistiques ou d’études montrant un lien de cause à effet. Nous ne savons pas encore si la hausse des prix d’achat et de location de biens immobiliers est liée avec la volonté de départ de travailleurs des grandes villes.
Cela dit, tout porte à croire que si les prix des loyers et des propriétés continuent d’augmenter, plusieurs personnes seraient encouragées à acheter plus loin de la ville afin d’avoir plus de confort et plus d’espace.
Cette situation s’est tellement aggravée pendant la pandémie qu’on parle de pénurie de logements abordables dans les grandes villes et de dérèglement du marché immobilier pour les acheteurs. Un constat qui a fait que cette question d’accès au logement s’immisce dans les débats électoraux au niveau fédéral.
Même si la situation semble se calmer un peu, nous sommes encore loin des prix d’avant la pandémie. Voilà donc un autre paramètre qui pousserait les jeunes familles à déserter les grandes villes au profit de régions dans lesquelles le coût de la vie serait moindre.
Pour finir…
Le télétravail pourrait devenir un facteur de développement régional à condition que les employeurs soient capables d’offrir de bonnes conditions de travail et de montrer davantage de flexibilité face aux besoins grandissants de la main-d’œuvre. Autrement, nous pourrions revenir aux vieux réflexes et perpétuer le manque de travailleurs dans plusieurs secteurs.
Les priorités sont claires : flexibilité, santé mentale au travail, télétravail et salaire concurrentiel. Aux employeurs d’employer les grands moyens pour fidéliser et attirer les employeurs.
Ainsi, le temps nous renseignera sur l’attractivité des régions dans un éventuel contexte de télétravail généralisé.