4 mai 2011
L’agriculture d’abord, la multifonctionnalité ensuite
Il y a quelque temps, le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) annonçait la création d’un programme pilote d'appui à la multifonctionnalité de l'agriculture. Il s’agit, précise le MAPAQ, d’aider à la réalisation de projets avantageux tant pour les agriculteurs que les communautés : cultures paysagères, remise en culture de terres en friche selon des modèles agroforestiers, amélioration des pâturages, restauration de bâtiments d'intérêt, etc. Une enveloppe de 10 millions sur quatre ans est assortie au programme, lequel s'insère dans la Stratégie de soutien à l'adaptation des entreprises agricoles lancée l'automne dernier.
Bien avant la multifonctionnalité, la priorité, dans l’esprit des agriculteurs, est et demeure de produire en recouvrant leurs coûts de production et en tirant un revenu décent du travail qui est le leur. Les aléas de marchés étant toutefois ce qu’ils sont, l’agriculture exige des outils de sécurité du revenu permettant aux producteurs de pallier aux temps difficiles, non seulement pour assurer la pérennité de leur gagne-pain, mais aussi celle d’une activité économique primordiale parce qu’essentielle à notre société : se nourrir. C’est la raison pour laquelle toutes les grandes nations de ce monde soutiennent leur agriculture, choix d’autant plus indiqué qu’elle s’avère rentable en matière de création d’emplois et de richesse collective. Et c’est le cas au Québec, a confirmé une étude d’ÉcoRessources Consultants.
Cela dit, on sait depuis longtemps que l’agriculture accomplit d’« autres » fonctions économiques, sociales et environnementales, fonctions dont la société attend de plus en plus qu’elles contribuent à son mieux-être collectif. C’est ce qui arrive, par exemple, quand on « assigne » aux producteurs agricoles des attentes telles qu’améliorer la biodiversité, préserver le paysage ou rendre leurs terres disponibles à certaines utilisations de la collectivité. Il y a donc effectivement de l’espace pour une démarche dont le but est de voir à rémunérer ces fonctions, sources de réels coûts supplémentaires ou de manques à gagner liés à l’assignation d’objectifs non agricoles.
Si l’idée de multifonctionnalité ainsi envisagée a du bon, il convient cependant d’aller au-delà pour s’interroger sur le caractère très ciblé que propose le tout nouveau programme du MAPAQ, surtout quand il prend soin de nous dire qu’il s’inscrit dans sa Stratégie de soutien à l'adaptation des entreprises agricoles. Le communiqué du Ministère parle en effet d’« une clientèle située dans 55 municipalités régionales de comté (MRC) qui ont été ciblées en raison de certaines caractéristiques biophysiques et géographiques » et dont les revenus agricoles bruts annuels sont inférieurs à 150 000 $, précise également le communiqué.
S’agit-il de critères attribuables au caractère « pilote » du programme ou d’une vision intrinsèque de la multifonctionnalité comme on la conçoit au MAPAQ? Est-ce à dire que de telles caractéristiques feront en sorte, à terme, de limiter la multifonctionnalité à certains types d’entreprises et de régions, pour ne pas dire certains types de « clientèles » seulement? L’agriculture n’est-elle pourtant pas multifonctionnelle partout, peu importe la région et le type d’entreprise agricole, son créneau de production et ses revenus? La multifonctionnalité sera-t-elle seulement le lot des seules entreprises identifiées comme étant en phase d’« adaptation », pour reprendre la terminologie du MAPAQ? Si cela s’avérait, on ferait fausse route.
Si le gouvernement compte instaurer, par le biais de l’agriculture, un levier d'action avec des retombées durables pour nos collectivités, nous lui suggérons plutôt de mettre en place des plans de développement régionaux de l’agriculture. Des plans offrant d’abord et avant tout un ensemble de moyens concrets et des budgets conséquents pour développer l’agriculture et la foresterie privée en fonction des forces et des particularités régionales. Il n’y a pas si longtemps encore, le MAPAQ estimait qu’un tel genre d’initiative (en l’occurence, ses projets pilotes de développement de la zone agricole ou PDZA) constituait « une des priorités privilégiées par le Ministère pour soutenir les MRC dans l’élaboration des plans de développement de la zone agricole ». L’UPA estime qu’une telle priorité s’impose toujours et qu’elle permettrait de faire bien davantage.